Contrairement à l’écrasante
majorité des enfants qui, hélas, lâchent les crayons de couleurs en arrivant au
collège, Guy Chamoux continue de dessiner et peindre depuis toujours.
Parallèlement à son travail alimentaire d’instituteur, d’abord à plein-temps, puis
à mi-temps pour pouvoir se consacrer plus pleinement à son art, il s’est formé
aux différentes pratiques des arts plastiques auprès d’artistes reconnus
« pour découvrir des techniques favorisant l’expression d’un sujet ».
Enseigner fut un travail alimentaire, mais pas seulement : en contact
permanent avec le regard, la créativité et la spontanéité des enfants, il n’a
« jamais coupé le lien avec l’imaginaire ».
Dans les ateliers de peinture de
la Ville de Paris, il a découvert le pastel sec et l’abstraction avec l’artiste
iranien Kambiz, qui lui a appris à « s’éloigner de la représentation pour
arriver à dire des choses sans la rigueur de la figuration ». Avec le
peintre argentin Ernesto Drangosch, il s’est perfectionné à la peinture à
l’huile. Suivant l’enseignement de Yanne Auguin à l’huile et au fusain à partir de modèles
vivants, celle-ci lui à fait prendre conscience qu’« il faut pratiquer
beaucoup, c’est comme ça que ça vient ». D’ailleurs, il a toujours sur lui
un carnet où il croque — on devrait dire dévore— les instants de son
quotidien, avec « la nécessité de noter ce qui se passe dans la
vie ».
Guy Chamoux veut mettre en forme
deux sujets principaux : sa vie personnelle, faite d’expériences et de
relations humaines, et la littérature, les deux étant intimement liés.
Suite à une opération du cœur, il
séjourna longtemps à l’hôpital Charles Foix, à Ivry-sur-Seine, où il a vu
défiler des gens, souvent en soins palliatifs ou atteints de maladie
dégénérescentes, qui se racontaient spontanément. Il a peint de grands formats
à l’huile et écrit de courts textes sur ces gens qu’il n’aurait pas sans doute
pas rencontrés autrement, pour leur inventer une vie.
Guy Chamoux entretient un lien à
vie avec certains grands écrivains, de l’ordre de la fraternité. « Très
peu d’écrivains font que vous comprenez mieux votre propre existence. Quand on
a trouvé des auteurs comme eux, ça aide à vivre ». Il relit régulièrement
leurs œuvres, pour « plonger réellement dans leur monde ».
Il a commencé avec
« Au-dessous du volcan », de Malcolm Lowry, la tragique histoire d’un
homme rongé par le remords. Puis ce fut Marcel Proust, avec ses portraits
incroyablement précis, drôles et intimes.
Et aujourd’hui, à Ailhon, il
montre une importante sélection de dessins, de peintures et de gravures autour
de la vie et de l’œuvre de Cesare Pavese. « Il y a ce que dit Pavese, ce
qu’écrit Pavese, son journal, son expérience tragique, et les échos que ça a en
moi ». Contrairement à Proust, qui disait qu’il ne faut pas tenter
d’expliquer l’écrivain par sa vie, il fonce dans la vie intime de ce grand
écrivain italien au talent reconnu mais aussi au destin tragique d’éternel
amoureux des femmes. « Tout est imbriqué : quand Pavese parle de son
pays, il parle de lui. Chez lui, les paysages, intimes, secrets, âpres et
rugueux à cause des traditions, correspondent à sa manière de dire les choses.
»
Pour évoquer les multiples
facettes de Pavese, Guy Chamoux a recours à diverses techniques et divers
supports selon ce qu’il veut exprimer. Il s’est rendu dans le pays d’origine de
l’auteur, au sud de Turin. Les grands paysages « où transpire la solitude
et la souffrance de l’écrivain », sont des gravures très contrastées, qui
font penser aux photographies en noir et blanc de Mario Giacomelli. Certaines
de ces gravures deviennent les squelettes de peintures à l’huile.
Pour exprimer l’amour, si
important pour Pavese, « il faut du mouvement », et le dessin au
stylo et la gouache permettent de représenter « quelque chose hors du
temps ». Pour les poèmes, Guy Chamoux a créé des images « à la fois
imprécises et suffisamment évocatrices pour qu’on puisse les comprendre ».
Deux gravures explicites évoquent
la mort de Pavese, dans une chambre de l’hôtel Roma. Pour cela, il a imaginé
qu’il faisait chaud, et que la fenêtre était ouverte. Dans son reflet,
l’enseigne de l’hôtel devenait amor, « coïncidence incroyable, quand on
sait que l’écrivain s’est suicidé à cause de l’amour » …
L’ensemble des œuvres présentées
dans l’exposition d’Ailhon propose un cheminement, partant de portraits de
Pavese pour aller vers les expériences avec les femmes de cet homme
déchiré, aux origines pauvres, qui
eut une belle carrière d’écrivain d’enseignant et d’éditeur jusqu’à sa fin
tragique.
Aujourd’hui, toujours en
associant ses diverses approches sensibles, techniques et esthétiques, Guy
Chamoux peint et écrit sur sa mère, décédée il y a peu. Des portraits d’elles,
des « reconstitutions » de scènes vécues, avec
« l’impression de mieux la comprendre que ce qu’il en avait jusque là compris
».